Chelles : gare, lieu de vie

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Gares : lieux de vie ?

  

Le cas japonais 

            Cette première partie reprend partiellement les thèmes développés dans un dossier sur "TOKYO Entre transports et urbanisme" que j’ai rédigé l’année dernière dans le cadre du séminaire Ville et métropolisation encadré par MM. Arvois et Lortie. Il me paraissait nécessaire de revenir sur ces acquis pour développer mon point de vue sur une gare de banlieue, lieu de vie.

  

            La gare centre de vie 

            Au Japon, dans la mégalopole de Tokaïdo qui court d ‘Osaka à Tokyo, la gare représente un centre de vie où on se retrouve, où on fait ses courses, où on se détend, …, le tout dans un joyeux "bazar" où les repères sont difficiles, où les commerces se sont agglutinés au gré des extensions, au détriment des différentes fonctions du lieu. Les repères disparus, la gare est difficile à trouver, tout autant que les administrations ou autres lieux sociaux, ludiques, …

            Le trajet quotidien entre le domicile et le lieu de travail est un parcours commercial en continu. Le tokyoïte sortant de chez lui tombe sur des distributeurs de toutes sortes, puis rejoint la rue commerçante et ses petites voire minuscules échoppes, avant de rejoindre la gare et ses propres commerces. Aux correspondances sur Yamanote-sen (ligne circulaire principale) ou à sa gare de destination sur cette même ligne, on ne peut échapper au mégacomplexe commercial où le passage est obligatoire.

   Les gares de la capitale sont bien plus que des pôles d’échanges de voyageurs. Elles forment avec les surfaces commerciales et de loisirs, de vastes lieux de vie. Sylvie Chirat[1] les compare à des “mondes kafkaïens”. Ces palais de la consommation se sont développés en hauteur, mais aussi en profondeur pour relier les lignes de métros et les chemins de fer de surface via les espaces commerciaux. C’est ainsi que de véritables villes souterraines se sont développées. La station de Ginza est reliée à celle de Tokyo par une de ces cités, qui s’étend sur des kilomètres. “Celle de Shinjuku et d’Ikebukuro font le désespoir des étrangers totalement incapables d’utiliser deux fois la même sortie. A Shibuya, où les lignes de métros s’empilent en un énorme mille-feuille, il est difficile de seulement trouver le niveau de la rue. A Asakusa, on prend le train pour Nikko au deuxième étage du grand magasin Matsuya”. Un japonais aura moins de chance de se perdre dans notre complexe des Halles à Paris avec son noeud de correspondance autour de Châtelet-Les Halles qu’un parisien à Tokyo, à Shibuya. Par chance les directions et autres indications sont omniprésentes et souvent en anglais contrairement aux bus. 

Ces complexes commerciaux et villes souterraines se sont développées avec la “bénédiction” ou plutôt le laxisme des autorités. Sans plan d’ensemble, l’évolution de ces lieux s’est faite au coup par coup par les différents noms du grand magasin (Seibu, Kintetsu, Hankyu, ...) qui ont non seulement créé le centre commercial mais ont aussi construit gares et voies ferrées vers la banlieue. Ainsi ces lignes portent le nom du grand magasin et butent sur une gare de connexion avec Yamanote-sen où le passage par les surfaces commerciales est quasiment obligatoire. 

Pour Shinjuku, le développement a décollé quand sous la pression des grands magasins (notamment Isetan), une nouvelle gare (Shinjuku san-chome) a été construite à moins de 700 m de la première (Shinjuku eki). Un parking souterrain est construit entre les deux et le premier niveau de sous-sol devient rapidement une subnad (subway promenade) reliant les deux gares. Cet espace va alors se transformer en surfaces commerciales qui vont se développer de manière anarchique pour aboutir, au début des années 80, à plus de 8000 m². 

Pour l’exposition universelle de 1967, Montréal s’était également dotée d’un espace souterrain équivalent. Mais à la différence de Tokyo, Montréal n’est pas soumis aux risques sismiques quotidiens. Kawazoe Noburu[2] s’en inquiète en citant l’exemple de celle de Nagoya (300 km à l’ouest de Tokyo) en 1973. “L’étude de la ville souterraine de Nagoya a montré les limites de ce genre d’installation dont on ignore le comportement exact en cas de désastre naturel (séisme, ...) ; il n’est ainsi nullement exclu que des faiblesses inhérentes à ce type de galerie poussent à surélever au contraire au-dessus du sol les voies de passage réservées aux piétons”.

Sans parler de ce type d’installation, après le tremblement de terre de Kobé de 1995, le rétablissement des réseaux aériens (téléphone, électricité, ...) a été relativement rapide alors que plusieurs semaines après, certains quartiers n’avaient toujours pas d’eau ou de gaz ; les réseaux souterrains ayant été gravement touchés. 

Les grandes surfaces à la française avec leur galerie marchande, en banlieue dans les zones d’activité, à l’accès automobile privilégié ne se sont pas développées outre mesure au Japon. Les centres commerciaux y sont surtout concentrés autour des gares. D’autres types de commerces (subventionnés), galerie marchande autonome et en centre-ville ou rue marchande, proposent une alternative au noyau-gare. Plusieurs facteurs expliquent, le faible développement des grandes surfaces au Japon. Au contraire de la France, le Japon est sous-équipé en automobiles par rapport à sa population. Les gens ne possèdent pas de caves et la taille des appartements ne permet pas le stockage des denrées pour une semaine. Enfin, la licence pour vente d’alcool fait cruellement défaut à la plupart des grandes surfaces. Là où en Europe on fait des courses à un rythme hebdomadaire au moyen de la voiture, au Japon, ce rythme est quotidien, se passe dans son quartier à pied ou en vélo. 

Devant les gares, petites ou grandes, il y a toujours du monde. Pour un rendez-vous, la gare est idéale : tout le monde y passe, c’est un repère aisément trouvable[3], l’attente est facilitée par les bars alentours, les écrans géants qui retransmettent l’actualité, la bourse en direct, de la musique, et de la publicité, comme sur les grands carrefours du centre. 

            La gare est souvent symbolique pour tout émigrant arrivant à Tokyo. Elle représente l’espoir d’un nouveau départ et, hélas bien souvent aussi, le retour à la case départ. Et avec la récession des années 90, les SDF ont pris une place plus importante dans la société japonaise et encore une fois la gare est au centre de cette évolution. Botond Bognar[4] décrit la situation : “Les clochards occupent souvent les passages souterrains et galeries marchandes comme à la sortie ouest de la gare de Shinjuku. Un vrai campement de grandes boites, équipées de futons, d’appareils électriques, de radios, voire de télévisons et décorés de leur propre art naïf et de leur peinture.”           

 

            Le quartier de gare 

            Le centre de Tokyo est éclaté autour du centre géographique qu’est le Palais Impérial. Pour relier ces quartiers, une ligne de chemin de fer circulaire a été créée autour de six grands pôles que sont les gares d’interconnexion de Tokyo, Shinagawa, Shibuya, Sinjuku, Ikebukuro et Ueno : Yamanote-sen.

            Sylvie Chirat décrit l’organisation de ces quartiers ainsi : “Son noyau est un pôle de migration, donc à Tokyo, une gare, quelle qu’en soit l’importance ; située près d’un carrefour routier, elle attire l’afflux des piétons et règle la hiérarchie des constructions et la progression de l’espace privé vers l’espace public.”

            Philippe Pons[5] analyse l’urbanisme des quartiers comme une succession de cercles concentriques autour d’une gare. Si on prend l’exemple de Shinjuku - mais le modèle fonctionne aussi pour Shibuya ou Ikebukuro - on peut voir que le premier cercle est centré sur la sortie est de la gare. Ce premier cercle est l’univers des femmes ; on y trouve les boutiques de luxe, les grands magasins, ... Le deuxième cercle, en s’éloignant du centre est l’univers des hommes avec magasins où l’on trouve de l’alcool, les bars et les lieux de détente (pachinko, ...). Le troisième cercle à les même fonctions que le deuxième avec les hôtels de rendez-vous en plus (love hôtels). Ce système est valable pour les grands quartiers centraux de la ville. Les petits quartiers plus éloignés du centre y échappent en mélangeant toutes les fonctions dans un espace plus restreint. Ce troisième cercle est le repère des petits truands, des yakusas. Ces quartiers chauds regroupent les boîtes de nuits, love hôtels, salles de jeux clandestines, le tout accompagné du racolage approprié. Cependant même dans ces quartiers “chauds”, la sécurité reste de mise et la criminalité réduite.

            Autour des gares gravitent les immeubles aux loyers les plus élevés. Mais les gares concentrent également, autour d’elles, l’activité économique de la ville. En effet, les activités tertiaires (70 à 80% de la population active), qui rassemblent les salarymen, s’y regroupent alors que l’artisanat et le commerce se disperse et que les usines sont rejetés sur la mer et à l’est de la ville. Pendant la période de la bulle financière (jusqu’au début des années 90), de nombreuses opérations ont été lancées sur les fronts de gare, à Tokyo comme dans les métropoles provinciales. Malgré les prix élevés, les opérations ont été rentables.

            Comme de nombreux commerces alimentaires ou débits de boissons, les salles de jeux et notamment les pachinkos (salles regroupant ces sortes de flippers passifs  verticaux) dépendent de la proximité d’une gare. Ils sont présents depuis le quartier résidentiel jusque dans les gares et leur taille varie en conséquence de la petite salle conviviale avec quelques machines, jusqu’aux “usines” qui alignent des centaines de machines. 

            Philippe Pons décrit la ville japonaise comme “un univers dominé par la spéculation foncière et le fétichisme de la marchandise. La structure des centres secondaires a nettement pour but de capter la foule dès la descente du train pour la canaliser vers les grands magasins et les boutiques”. Car même si l’échelle change, le système reste identique. La vie des centres secondaires accompagne le rythme pendulaire des banlieusards. Le rush du matin pour se rendre au travail ou à l’école et le retour le soir avec rendez-vous et rencontres (moment et lieu de la socialité). Le reste du temps ce sont les femmes au foyer et les personnes âgées - faisant les courses, ... - qui animent le quartier. Philippe Pons nomme ces banlieusards, “communauté sans proximité”. En effet, la promiscuité des logements fait que les gens se rencontrent loin de chez eux. Les rencontres se font souvent avec des collègues de l’entreprise. Ceci associé à la mobilité résidentielle entraîne des relations de voisinages ou de quartier très limitées.

         Augustin Berque[6] parle du “devenir ville” de l’atmosphère urbaine qui émane des abords de gares de banlieue. La variété et le nombre de petits commerces ouvrent sur la ville, et provoquent un autre type d’espace-temps. “[...] dans le temps, car ils ferment tard et ne chôment que quelques jours par an ; et dans l’espace, car l’interprétation du dedans (le magasin) et du dehors (la rue) y est très poussée ; telles ces devantures de restaurants où les plats, reproduits en cire avec un réalisme parfait, sont exposés en vitrine.”

            Il compare ensuite cette situation avec les gares des villes nouvelles franciliennes à l’urbanité totalement absente. La gare n’est entouré que de parkings. Ce constat est terrible mais tout à fait juste. Il n’y qu’à voir les gares du RER A à Torcy ou Lognes à Marne la Vallée. 

 

La gare "capable"

 

            De la gare palais à la gare" capable"

 

La deuxième partie du XIXe siècle est souvent présentée comme l’âge d’or des gares. C’était alors les portes sur le royaume de la vitesse. Le déclin du train face à la voiture et à l’avion, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a conduit à un oubli de la gare.[7]

L’arrivée du TGV a changé la donne ; le train reprend le pouvoir. Mais ce n’est que pour le lancement du TGV Atlantique que l’effet se ressentira aussi sur les gares. La gare Montparnasse renaît avec la porte océane qui s’ouvre sur la ville et une identité de ligne se retrouve au gré des gares atlantiques au moyen de toiles tendues et autres bastingages. Le même effort aboutira aux gares d’Euralille pour le TGV Nord et de Roissy-TGV sur l’interconnexion. Ces deux gares sont des réussites par leur intégration dans leur contexte ; la première dans un nouveau quartier mêlant des bureaux, un centre de congrès, un parc, et un centre commercial, la deuxième pôle multimodal au milieu d’un aéroport.

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Les gares du TGV Méditerranée apportent de nouvelles normes de confort des gares. Les gares d’Aix, Avignon, Valence ouvertes depuis juin 2001 proposent des halls aux ambiances soignées, un nouveau standard de confort visuel, acoustique, et surtout thermique. En outre, elles se retrouvent légèrement à l’écart des villes, mais en concertation avec les acteurs locaux, elles accompagneront de futurs projets urbains. Les trois gares possèdent des halls fermés et un système de rafraîchissement d’air et de chauffage qui allié aux parois protectrices (coque opaque au sud et vitrage au nord pour Avignon, grande toiture débordante pour Valence et grande vague pour Aix) garantissant une température minimale de 13°C en hiver et 5°C de moins qu’à l’extérieur l’été. Les trois gares ont dû se prémunir contre le mistral. Ce sont des parois vitrées qui endossent ce rôle pour Aix et Valence alors qu’à Avignon c’est la coque vitrée qui permet d’abriter les voyageurs. Le hall fermé, les parements de bois de la coque opaque à Avignon, les plafonds et planchers de bois à Aix et Valence participent au confort acoustique. L’omniprésence du verre permet de voir à tous moments les trains et le paysage (la montagne Ste Victoire à Aix, le Palais des Papes à Avignon, le massif du Vercors à Valence), de comprendre immédiatement le fonctionnement des circulations et l’enchaînement des espaces.

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Les gares nouvelles d’Aix, Avignon, Valence

 

Avec le TGV Est en cours d’étude, on va franchir un nouveau cap. Ce sont les réflexions sur la gare "capable" (d’accueillir de nouveaux services, de s’adapter aux changements, de nous faire passer un moment agréable, …) qui vont conduire les dirigeants de la SNCF à fixer six points de base pour une réflexion approfondie et une mise en application pour ces nouvelles gares :

 

1.      Espace-unique, ne distinguant plus concessions/vente/accueil

2.      Espace-services « gare interactive » + repenser services classiques : location, bus, … (escale)

3.      Vente du XXIe siècle : Pas d’EUV (Espace Unique de Vente ndlr), distribution électronique

4.      Climatisation

5.      Animation commerciale et régionale (type porte meusienne)

6.      Intermodalité intégrale

 

Le confort est le maître mot de toutes ces nouveautés. Qu’il améliore la  thermique, l’acoustique, l’éclairage, la signalétique, le design, les matériaux, les services proposés, il transforme les gares en lieux de vie conviviaux.  Le confort appelle le respect de certains critères de qualité dans la conception architecturale. Par exemple, l’enchaînement simple et clair des espaces doit aller de pair avec la mise à disposition d’équipements techniques facilitant les déplacements (rampes, escaliers mécaniques, ascenseurs, …). Sur le plan climatique, outre une protection contre la pluie, le soleil, le vent et les mouvements d’air, une température adaptée au lieu, à l’activité, et à la durée de séjour doit être maintenue. Dans le domaine olfactif , le contrôle des sources de pollution a pour corollaire la mise en scène d’odeurs qui évoquent l’idée de propreté tout en étant agréables. La clarté des espaces, passe elle par la prépondérance sinon la permanence de la lumière naturelle, l’utilisation optimale de l’éclairage artificiel, la maîtrise des contrastes (notamment pour le téléaffichage ndlr) ou du rendu des couleurs. Enfin le confort psychologique repose sur une sensation de sécurité et de convivialité et non de promiscuité[8].

 Pour Christine Albertini-Drew[9], la gare de demain ne sera ni un hub, ni une galerie commerciale, mais plutôt un espace dédié aux services et à l’information, un espace utilitaire ouvert aussi sur l’évasion.

  

Les gares lieu de vie

 

Depuis longtemps, la gare essaie de dépasser son simple rôle de halte ferroviaire. Les commerces sont apparus en gare très tôt. Ce sont d’abord un buffet, la presse, les toilettes et bains publics, les hôtels. 

 Lors de la rénovation de la gare Montparnasse en 1989, outre la création de la porte océane et une gestion des flux efficace, on a voulu créer un centre commercial. Malheureusement, les commerces de cette galerie marchande ont tous fermé les uns après les autres. La galerie était décentrée, en dehors des flux principaux. Le type de commerce était-il bien choisi ? Les chalands n’étaient-ils pas assez nombreux ? Les commerces disséminés à travers la gare (généralement presse et restauration rapide), le long des flux n’ont eu, quant à eux, aucun problème à tirer leur épingle du jeux. Aujourd’hui des enseignes plus connues pénètrent la gare : Quick, Pier Import, Virgin, Celio, … 

La gare St Lazare, première gare parisienne en terme de trafic banlieue, se prépare a accueillir un vrai centre commercial. Elle se trouve au coeur d’un quartier marchand regroupant deux grands magasins (Galeries Lafayette, Printemps), et de nombreux autres magasins. Elle vient d’accueillir le terminus actuel du RER E, se prépare à recevoir le nouveau terminus de la ligne de métro n°14, et compte bien profiter de tout ce trafic pour faire tourner son propre centre commercial. Le quai transversal au bout des voies, aujourd’hui au bord de la saturation, va être fermé par une paroi vitrée le séparant des quais. Tous les cheminements se reporteront sur une salle des pas perdus aujourd’hui sous utilisée, pour en faire ainsi un vaste lieu d’échanges horizontal et vertical au milieu des commerces. Sa superficie commerciale, actuellement de 7 000 m2, doit passer à 16 000 m2, répartis entre 50 enseignes d'ici à 2002. On y comptera des moyennes surfaces de sports, de loisirs, de culture, de textile, de la restauration thématique, des magasins alimentaires et des traiteurs (cf. annexe : vue de la future gare St Lazare niveau quais). Pour cela la SNCF, qui avait déjà créé A2C (sa filiale de développement des commerces), cofinance le projet avec un important promoteur commercial, la Ségécé.

A Paris, un centre commercial est aussi sur le point de rentrer dans la gare de Lyon (13 000 m2 de commerces en 2003 avec la Ségécé également). En tout, en France, ce ne sont pas moins de 48 gares qui sont amenées à devenir de véritables lieux d’animation de la vie des cités dont 15 très grandes gares appelées à recevoir de gros changements (Marseille, Lyon Part Dieu, …). 

A travers l’Europe, les gares se construisent, se développent, se rénovent souvent pour accueillir un train à grande vitesse.

En Angleterre dès 1991, la gare de Liverpool street était réaménagée pour accueillir une galerie marchande sous sa grande halle. Les gares mitoyennes de St Pancras et King Cross sont englobées dans un projet urbain pour l’accueil d’Eurostar. Jean-Didier Bodin (directeur des services communs à la clientèle voyageurs en 1994) constate que les anglais occupent bien davantage l’espace des gares que nous. Des activités commerciales intéressantes pour le voyageur et une palette de services plus variés contribuent à créer des gares beaucoup plus meublées, bénéficiant d’une ambiance plus chaleureuse.

En Italie, 13 très grandes gares sont en train ou vont être rénovées (Rome Termini, Turin Porta Nuova Centrale, Venise Santa Lucia et Mestre, Gênes Genova Principe et Brigniole, …) pour faire face à l’augmentation du trafic ou pour accueillir le TGV. Rome Termini possède depuis début 2000 un centre commercial regroupant une centaine de boutiques sur 12000 m² au dessous du grand hall libéré qui accueille désormais de nouveaux guichets et une librairie transparente sous sa vague géante.

 En Allemagne, après les travaux des nouvelles gares berlinoises (Lehrter bahnhof, Papestrasse…), l’ICE est le prétexte à de lourdes restructurations à Stuttgart, Munich, … La gare rénovée de Leipzig compte déjà 30 000 m2 de commerces partagés par 130 enseignes. La Lehrter bahnhof accueillera deux strates perpendiculaires de trains que viendront coiffer deux barres abritant près de 40000 m² de bureaux. Au milieu de tout ça 20000 m² seront alloués aux petits commerces, à la gastronomie, et aux prestations de service de la DBAG.

En Belgique, la gare terminus d’Anvers se transforme en gare de passage et Liège reçoit une nouvelle gare signée Calatrava. En Espagne, depuis 1992, la gare restaurée de Pontevedra (en Galice) accueille un centre commercial avec des salles de cinéma, des salles de jeux et même un gymnase et trois nouvelles gares vont être construites à Barcelone pour faire passer l’AVE vers la France …

 

Mais c’est au Japon, comme on a pu le voir précédemment, dans la mégalopole de Tokaïdo, que le terme "gare lieu de vie" à pris ses lettres de noblesse en mêlant étroitement gare et centre commercial. Alors que Jean-Marie Duthilleul[10] s’inquiète de ce rapprochement gare/centre commercial : le risque, c’est d’aboutir à des gares qui ne soient plus des gares, comme au Japon, c’est-à-dire des lieux qui ressemblent plus à des centres commerciaux et dans lesquels on découvre par hasard entre deux magasins un escalier mécanique qui vous amène à un train caché en sous-sol, l’urbaniste François Ascher se demande si, dans un univers de mobilité généralisée, on peut encore appréhender la gare "principalement" comme le lieu où on prend le train.[11]

  
Les services en gare  

            Après la reconquête architecturale puis urbaine, Jean-Marie Duthilleul parle de "3e phase" pour une reconquête par les services.

Pour ce faire, La SNCF s’est dotée d’une structure centrale "Services en Gare" (au sein de l’Agence d’Etude des Gares) qui réfléchit sur les services d’aujourd’hui et de demain. En Italie, les FS ont aussi leur propre structure, mais cette fois-ci, c’est une personne par gare (pour les gares les plus importantes) qui s’occupe de la réflexion et de la mise en place de ces services.

Ils sont nombreux à penser que les commerces bien agencés, mieux ciblés et de meilleure qualité sont une réponse efficace pour ces services.

Daniel Cukierman, le patron de FRP (France Rail Publicité ndlr) se plaît à rappeler que 12000 personnes traversent quotidiennement Lyon-Perrache sans prendre le train, et qu’à Montpellier, seuls 40% des gens qui fréquentent la gare accèdent à un train.

Par ailleurs, il trouve que cette approche des gares «  lieux de commerces » n’est pas très étonnante. Elle s’impose par l’importance des flux de personnes qui fréquentent quotidiennement les gares . Et c’est tant mieux pour tout le monde et d’abord pour les voyageurs. Comparons ! Parly II est le plus grand centre commercial français avec 20 millions de visiteurs par an. La gare du nord voit passer 400000 voyageurs par jour !

Il faut occuper l’attente que les gens s’imposent pour être sûr de ne pas rater leur train. Cela va de quelques minutes pour les trains de banlieue à une heure en moyenne avant les départs grande ligne dans les grandes gares parisiennes en passant par une vingtaine de minutes au niveau national. Tout l’enjeu de ces commerces et autres services est d’occuper ces gens entre le moment où ils connaissent leur quai de départ et le moment où ils s’y rendront.

Jean-Marie Duthilleul déplore qu’en termes de services en gare, rien n’ait encore changé - un marchand de journaux et un buffet aléatoire. Seul le design des boutiques a changé. Mais on ne trouve toujours pas de pharmacie, de banque, de magasin de vêtements, d’antenne de services publics … bref tout ce qu’on est en droit de trouver dans un lieu de centralité. Il se prend alors à rêver. Pourquoi ne pas imaginer que dans un village de 1000 habitants dont les commerces ont disparu, la gare abrite les commerces de proximité et les services de première nécessité ? 

Dans les grandes gares en France comme à l’étranger, on trouve depuis un moment déjà des salons d’affaires destinés aux voyageurs de première classe. Ces businessmen, cible privilégiée des compagnies de chemins de fer, y trouvent du calme, de la place pour travailler, un fax, des téléphones, des prises internet et  parfois même des ordinateurs en location.

La RATP met en place progressivement des " bouquets de services". Ce sont plusieurs services regroupés au même endroit (d’abord dans les complexes d’échanges urbains). Une partie de services automatiques (distributeur de billets de banque, de timbres, de journaux, de boissons, de confiseries, Photomaton, boîte aux lettres, borne internet, téléphone, fax, visiophone, écran d’information), un agent RATP et … des masseurs pour les voeux 2001. Ces services ont cependant la particularité d’être dans un espace privé et réservé aux usagers de la RATP. C’était légèrement différent pour le bouquet présent dans le pôle d’échanges de la Défense puisqu’on pouvait y trouver, sur 2500 m² ouverts à tous, une poste, un kiosque à journaux, une agence EDF-GDF, un commissariat de police, la sécurité sociale, une association (Capville) d’information et de formation des jeunes aux nouvelles technologies, des bureaux de voisinage et des services aux entreprises (New Works) pour les salariés nomades. L’expérience a tourné court. Le lieu était inadapté. Les services étaient redondants.

En Angleterre, deux expériences ont lieu depuis début 2000. Une crèche accueille les enfants en gare de Victoria station, à Londres. Les voyageurs pendulaires peuvent laisser leurs enfants la journée, les occasionnels, 4 heures le temps de faire une course. Ce lieu sert aussi de salle d’attente parents-enfants. D’autre part, la gare de Leatherhead, petite ville du sud de Londres regroupe désormais la salle d’attente et une supérette dans un même volume. En plus de la vente de tickets, le guichetier tient aussi la caisse de la supérette.

François Bellanger[12] évoque l’étude d’autres services, notamment avec l’avènement des nouvelles technologies. Si le mouvement d'équipement des grandes gares est aujourd'hui une réalité, il devrait dans les mois à venir toucher des gares de taille plus modeste et notamment celles de la région parisienne. Certaines d'entre elles voient, en effet, passer plus de passagers que beaucoup de grandes gares de province. S'ouvre là pour les marques et les distributeurs un formidable chantier. Certains promoteurs évoquent déjà des magasins multifonction tout à la fois épicerie, laverie et vidéo-clubs dans lesquels les passagers pourraient le matin passer leurs commandes de courses et laisser leur linge sale. Des courses et du linge qu'ils récupéreront le soir, tout en empruntant pour la soirée une cassette vidéo. A Paris, Virgin s'est déjà lancé dans cet exercice. L'enseigne propose ainsi aux passagers de Montparnasse de commander un CD ou un livre le matin et de le récupérer le soir sur le chemin du retour. Quant au groupe Casino, il ouvrait au printemps 99 son premier magasin dans la gare d'Austerlitz à Paris. Actuellement, A2C négocie avec un géant de la distribution afin d'installer des convenience stores dans une centaine de gares de la région parisienne. Dans un deuxième temps, ces magasins auront vocation à abriter des services annexes et à servir de point relais pour retirer les achats. La gare deviendrait alors un lieu de vie et plus seulement un lieu de passage subi, et souvent mal subi. A la gare SNCF de Saint-Denis, un Espace Service offre déjà ce type de prestations. 

 

La gare de banlieue parisienne 

            Jean-Marie Duthilleul affirme que si les gens trouvaient  dans les gares, ou dans les couloirs qui mènent au métro, des services au quotidien pour mieux gérer leur temps, l’image de la gare auprès des banlieusards pourrait s’en trouver améliorée. La gare doit devenir un lieu de vie et plus seulement un lieu de passage subi. Il faut faciliter les rencontres et surtout réfléchir aux nouveaux services. 

Comme on a pu le voir pour le Japon, le rythme pendulaire du banlieusard, accompagne la vie de la gare. Les périodes de pointes sont vers Paris le matin entre 7 et 9h et le soir vers la banlieue de 17 à 20h, contrairement aux derniers trains à Tokyo.  Entre ces deux pointes la fréquentation est plutôt creuse. On se rend à la gare pour préparer un voyage ou acheter un journal, moins pour prendre un train, si ce n’est pour faire des courses vestimentaires dans la capitale. Ou le week-end en soirée pour se détendre. Le forum des halles est un de ces points de chutes des jeunes banlieusards en mal d’activité. En effet c’est le point de concours de trois lignes de RER (A, B, D) et de  cinq lignes de métro (1, 4, 7, 11, 14).

La gare de banlieue est aussi marquée par les passages. Ceux des banlieusards stressés et pressés le matin, pour ne pas rater leur train pour se rendre sur leur lieu de travail, comme le soir pour rentrer au plus vite chez eux. C’est aussi le passage des trains sans arrêt, trains de grande banlieue, de grande ligne, voire même TGV le cas échéant, stressant, bruyant, surprenant, désagréable, violent, décoiffant s’il n’est pas préannoncé.

La gare, c’est aussi une somme de temps. Des temps diversifiés pour le train : l’arrêt, le retard, le temps de parcours,… qui compose avec, ou que subit le client-voyageur-usager, à savoir l’attente dans la plupart des cas, ou le temps d’approche toujours trop long (obligation de ne pas rater son train).

La fréquentation des gares évolue au cour de la journée. Les actifs empruntent le rythme pendulaire du matin et du soir. Des gens moins pressés, pénètrent dans la gare pendant la journée. Ce sont des inactifs, des retraités, qui profitent des heures creuses pour se rendre sur Paris. De nombreuses gares de banlieue sont les points de rassemblements des jeunes des cités avant de prendre un train en bande ou avant de se déplacer par d’autres moyens. Il n’est pas rare de lire des courriers des lecteurs dans La Vie du rail relatant leurs mésaventures dans ces gares. C’est aussi à la gare, lieu public couvert que zonent les SDF, devant l’été ou dans un recoin pour dormir, dedans l’hiver pour se réchauffer. En soirée, ce sont souvent des gens de couleur, dont le métier souvent plus "ingrat" finit plus tard, qui prennent le relais. La plupart des gens qui fréquentent la gare le font pour une activité liée au voyage. Parmi ceux-ci, la grande majorité prennent le train. Les autres viennent prendre un billet grande ligne. Le marchand de journaux fonctionne surtout avec les voyageurs. Seul le Photomaton est largement utilisé par les gens du quartier en dehors de tout voyage.

L’usager de la gare, en fonction du temps dont il dispose peut profiter du service minimum, souvent la donne dans ces gares. On y trouve la vente de billets au guichet ou par automates Transilien, le marchand de journaux Relay, des distributeurs de boissons (Selecta, …), des points photos (Portrex, Photomaton…), et sur les quais des panneaux d’information quotidienne (expérience Le Parisien). La recherche d’efficacité est de mise : accès le plus direct possible aux quais, information minimaliste. Le label Transilien appelé à devenir la norme des gares franciliennes améliore les choses : contrat d’entretien renforcé (propreté, maintenance des escaliers mécaniques, …), lumière retravaillée et renforcée, signalétique et information  pléthorique,  accessibilité aux personnes à mobilité réduites obligatoire,  nouveau mobilier de quai, … 

La gare de ville nouvelle est encore différente. Elle précède de peu ou est souvent à l’origine de la création de nouveaux quartiers. C’était la cas de Cergy le Haut (1994) à l’ouest de Paris en ou la gare de Serris-Montévrain-Val d’Europe (2000-2003) à Marne la Vallée, à côté de Disneyland Paris, dans l’est parisien. La plupart des gares de villes-nouvelles sont des pôles multimodaux où la gare ferroviaire côtoie une gare routière, des taxis et un parking, glauque sur plusieurs étages ou, sur une vaste étendue plane dans les années 80, mieux pensée de nos jours. Les services présents dans ces gares sont réduits au strict minimum et n’intègrent même pas toujours un point presse. La nouvelle centralité qu’elles sont censées représenter n’est pas toujours au rendez-vous, si bien qu’elles deviennent souvent de simples haltes urbaines, de simples lieux de passage obligés. Si certaines de ces gares sont aussi des points de départ pour des révisions de plan d’urbanisme comme à Evry-Courcouronne, d’autres retrouvent seules animations de quartiers au milieu d’une galerie marchande moribonde. En ville nouvelle, la grande surface n’est jamais très loin. Et comme les déplacements en voiture y sont plus aisés que dans Paris ou en première couronne, la tentation est grande d’aller dans un lieu commun où on peut se garer et trouver de tout et pas cher. Le quartier de la  gare de Noisy le grand Mont d’Est, à Marne la Vallée fonctionne car il y a un grand centre commercial (les Arcades) qui regroupe une grande surface, une galerie marchande à l’offre pléthorique, un multiplexe, des antennes sociales et administratives. La gare même légèrement à l’écart s’en retrouve un peu perdue.

 

[1] Sylvie CHIRAT Tokyo, ville phénix Bulletin d’information architecturale n°133 oct. 1989

[2] Kawazoe NOBORU L’architecture japonaise d’aujourd’hui Fondation japonaise, Tokyo, 1973

[3] Dans les grandes gares, il faut tout de même trouver la bonne sortie.

[4] Botond BOGNAR World cities Tokyo Academy Editions 1997

[5] Philippe PONS D’Edo à Tokyo Mémoires et modernités Bibliothèque des Sciences humaines, Editions Gallimard, 1988.

[6] Augustin BERQUE Du geste à la cité Formes urbaines et lien social au Japon Bibliothèque des Sciences humaines, Editions Gallimard, 1993

[7] François  BELLANGER, Bruno MARZLOFF TRANSIT Les lieux et les temps de la mobilité Media mundi Ed. de l'Aube, La Tour d'Aigues 1996

[8] Franck POISSON, Christophe LAMBOURG, Philippe HOLSTEIN, Catherine MARSAULT De l’intelligibilité des annonces sonores au confort acoustique en gare Revue Générale des Chemins de Fer sept. 2001

[9] chef du pôle stratégie et développement à la DDG (Direction de développement des Gares) à la SNCF dans La Vie du Rail n°163, 03 jan. 2001

[10] architecte, responsable de l’Agence d’Etude des Gares, à la SNCF

[11] François  BELLANGER, Bruno MARZLOFF TRANSIT Les lieux et les temps de la mobilité Media mundi Ed. de l'Aube, La Tour d'Aigues 1996

[12] François BELLANGER La gare : l'espace multiservice de demain Marketing Magazine n°51 juin 2000

  

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