Chelles : gare, lieu de vie |
Gares :
lieux de vie ? Le cas japonais
Cette première partie reprend partiellement les thèmes développés dans un
dossier sur "TOKYO Entre transports et urbanisme" que jai rédigé
lannée dernière dans le cadre du séminaire Ville et métropolisation encadré par
MM. Arvois et Lortie. Il me paraissait nécessaire de revenir sur ces acquis pour
développer mon point de vue sur une gare de banlieue, lieu de vie.
La gare centre de vie
Au Japon, dans la mégalopole de Tokaïdo qui court d Osaka à Tokyo, la gare
représente un centre de vie où on se retrouve, où on fait ses courses, où on se
détend,
, le tout dans un joyeux "bazar" où les repères sont
difficiles, où les commerces se sont agglutinés au gré des extensions, au détriment
des différentes fonctions du lieu. Les repères disparus, la gare est difficile à
trouver, tout autant que les administrations ou autres lieux sociaux, ludiques,
Les gares de la capitale sont bien plus que des pôles
déchanges de voyageurs. Elles forment avec les surfaces commerciales et de loisirs,
de vastes lieux de vie. Sylvie Chirat[1] les
compare à des mondes kafkaïens. Ces palais de la consommation se sont
développés en hauteur, mais aussi en profondeur pour relier les lignes de métros et les
chemins de fer de surface via les espaces commerciaux. Cest ainsi que de véritables
villes souterraines se sont développées. La station de Ginza est reliée à celle de
Tokyo par une de ces cités, qui sétend sur des kilomètres. Celle de
Shinjuku et dIkebukuro font le désespoir des étrangers totalement incapables
dutiliser deux fois la même sortie. A Shibuya, où les lignes de métros
sempilent en un énorme mille-feuille, il est difficile de seulement trouver le
niveau de la rue. A Asakusa, on prend le train pour Nikko au deuxième étage du grand
magasin Matsuya. Un japonais aura moins de chance de se perdre dans notre complexe
des Halles à Paris avec son noeud de correspondance autour de Châtelet-Les Halles
quun parisien à Tokyo, à Shibuya. Par chance les directions et autres indications
sont omniprésentes et souvent en anglais contrairement aux bus. Ces complexes
commerciaux et villes souterraines se sont développées avec la bénédiction
ou plutôt le laxisme des autorités. Sans plan densemble, lévolution de ces
lieux sest faite au coup par coup par les différents noms du grand magasin (Seibu,
Kintetsu, Hankyu, ...) qui ont non seulement créé le centre commercial mais ont aussi
construit gares et voies ferrées vers la banlieue. Ainsi ces lignes portent le nom du
grand magasin et butent sur une gare de connexion avec Yamanote-sen où le passage par les surfaces
commerciales est quasiment obligatoire. Pour Shinjuku, le développement a décollé quand sous la pression des
grands magasins (notamment Isetan), une nouvelle gare (Shinjuku san-chome) a été
construite à moins de 700 m de la première (Shinjuku eki). Un parking souterrain est
construit entre les deux et le premier niveau de sous-sol devient rapidement une subnad
(subway promenade) reliant les deux gares. Cet espace va alors se transformer en surfaces
commerciales qui vont se développer de manière anarchique pour aboutir, au début des
années 80, à plus de 8000 m². Pour
lexposition universelle de 1967, Montréal sétait également dotée dun
espace souterrain équivalent. Mais à la différence de Tokyo, Montréal nest pas
soumis aux risques sismiques quotidiens. Kawazoe Noburu[2]
sen inquiète en citant lexemple de celle de Nagoya (300 km à louest de
Tokyo) en 1973. Létude de la ville
souterraine de Nagoya a montré les limites de ce genre dinstallation dont on ignore
le comportement exact en cas de désastre naturel (séisme, ...) ; il nest ainsi
nullement exclu que des faiblesses inhérentes à ce type de galerie poussent à
surélever au contraire au-dessus du sol les voies de passage réservées aux piétons. Sans parler
de ce type dinstallation, après le tremblement de terre de Kobé de 1995, le
rétablissement des réseaux aériens (téléphone, électricité, ...) a été
relativement rapide alors que plusieurs semaines après, certains quartiers navaient
toujours pas deau ou de gaz ; les réseaux souterrains ayant été gravement
touchés. Les grandes surfaces à la française avec leur galerie marchande, en
banlieue dans les zones dactivité, à laccès automobile privilégié ne se
sont pas développées outre mesure au Japon. Les centres commerciaux y sont surtout
concentrés autour des gares. Dautres types de commerces (subventionnés), galerie
marchande autonome et en centre-ville ou rue marchande, proposent une alternative au
noyau-gare. Plusieurs facteurs expliquent, le faible développement des grandes surfaces
au Japon. Au contraire de la France, le Japon est sous-équipé en automobiles par rapport
à sa population. Les gens ne possèdent pas de caves et la taille des appartements ne
permet pas le stockage des denrées pour une semaine. Enfin, la licence pour vente
dalcool fait cruellement défaut à la plupart des grandes surfaces. Là où en
Europe on fait des courses à un rythme hebdomadaire au moyen de la voiture, au Japon, ce
rythme est quotidien, se passe dans son quartier à pied ou en vélo. Devant les gares, petites ou grandes, il y a toujours du monde. Pour un
rendez-vous, la gare est idéale : tout le monde y passe, cest un repère aisément
trouvable[3],
lattente est facilitée par les bars alentours, les écrans géants qui
retransmettent lactualité, la bourse en direct, de la musique, et de la publicité,
comme sur les grands carrefours du centre.
La gare est
souvent symbolique pour tout émigrant arrivant à Tokyo. Elle représente lespoir
dun nouveau départ et, hélas bien souvent aussi, le retour à la case départ. Et
avec la récession des années 90, les SDF ont pris une place plus importante dans la
société japonaise et encore une fois la gare est au centre de cette évolution. Botond
Bognar[4]
décrit la situation : Les clochards occupent
souvent les passages souterrains et galeries marchandes comme à la sortie ouest de la
gare de Shinjuku. Un vrai campement de grandes boites, équipées de futons,
dappareils électriques, de radios, voire de télévisons et décorés de leur
propre art naïf et de leur peinture.
Le quartier de gare Le centre de Tokyo est éclaté autour du centre géographique quest le Palais Impérial. Pour relier ces quartiers, une ligne de chemin de fer circulaire a été créée autour de six grands pôles que sont les gares dinterconnexion de Tokyo, Shinagawa, Shibuya, Sinjuku, Ikebukuro et Ueno : Yamanote-sen.
Sylvie Chirat décrit lorganisation de ces quartiers ainsi : Son noyau
est un pôle de migration, donc à Tokyo, une gare, quelle quen soit
limportance ; située près dun carrefour routier, elle attire lafflux
des piétons et règle la hiérarchie des constructions et la progression de lespace
privé vers lespace public.
Philippe Pons[5]
analyse lurbanisme des quartiers comme une succession de cercles concentriques
autour dune gare. Si on prend lexemple de Shinjuku - mais le modèle
fonctionne aussi pour Shibuya ou Ikebukuro - on peut voir que le premier cercle est
centré sur la sortie est de la gare. Ce premier cercle est lunivers des femmes ; on
y trouve les boutiques de luxe, les grands magasins, ... Le deuxième cercle, en
séloignant du centre est lunivers des hommes avec magasins où lon
trouve de lalcool, les bars et les lieux de détente (pachinko, ...). Le troisième
cercle à les même fonctions que le deuxième avec les hôtels de rendez-vous en plus (love hôtels). Ce système est valable pour les
grands quartiers centraux de la ville. Les petits quartiers plus éloignés du centre y
échappent en mélangeant toutes les fonctions dans un espace plus restreint. Ce
troisième cercle est le repère des petits truands, des yakusas. Ces quartiers chauds
regroupent les boîtes de nuits, love hôtels, salles de jeux clandestines, le tout
accompagné du racolage approprié. Cependant même dans ces quartiers chauds,
la sécurité reste de mise et la criminalité réduite.
Autour des gares gravitent les immeubles aux loyers les plus élevés. Mais les
gares concentrent également, autour delles, lactivité économique de la
ville. En effet, les activités tertiaires (70 à 80% de la population active), qui
rassemblent les salarymen, sy regroupent alors que lartisanat et le commerce
se disperse et que les usines sont rejetés sur la mer et à lest de la ville.
Pendant la période de la bulle financière (jusquau début des années 90), de
nombreuses opérations ont été lancées sur les fronts de gare, à Tokyo comme dans les
métropoles provinciales. Malgré les prix élevés, les opérations ont été rentables.
Comme de nombreux commerces alimentaires ou débits de boissons, les salles de jeux
et notamment les pachinkos (salles regroupant ces sortes de flippers passifs verticaux) dépendent de la proximité dune
gare. Ils sont présents depuis le quartier résidentiel jusque dans les gares et leur
taille varie en conséquence de la petite salle conviviale avec quelques machines,
jusquaux usines qui alignent des centaines de machines.
Philippe Pons
décrit la ville japonaise comme un univers
dominé par la spéculation foncière et le fétichisme de la marchandise. La structure
des centres secondaires a nettement pour but de capter la foule dès la descente du train
pour la canaliser vers les grands magasins et les boutiques. Car même si
léchelle change, le système reste identique. La vie des centres secondaires
accompagne le rythme pendulaire des banlieusards. Le rush du matin pour se rendre au
travail ou à lécole et le retour le soir avec rendez-vous et rencontres (moment et
lieu de la socialité). Le reste du temps ce sont les femmes au foyer et les personnes
âgées - faisant les courses, ... - qui animent le quartier. Philippe Pons nomme ces
banlieusards, communauté sans proximité. En effet, la promiscuité des
logements fait que les gens se rencontrent loin de chez eux. Les rencontres se font
souvent avec des collègues de lentreprise. Ceci associé à la mobilité
résidentielle entraîne des relations de voisinages ou de quartier très limitées. Augustin
Berque[6] parle du devenir ville
de latmosphère urbaine qui émane des abords de gares de banlieue. La variété et
le nombre de petits commerces ouvrent sur la ville, et provoquent un autre type
despace-temps. [...] dans le temps,
car ils ferment tard et ne chôment que quelques jours par an ; et dans lespace, car
linterprétation du dedans (le magasin) et du dehors (la rue) y est très poussée ;
telles ces devantures de restaurants où les plats, reproduits en cire avec un réalisme
parfait, sont exposés en vitrine.
Il compare ensuite cette situation avec les gares des villes nouvelles
franciliennes à lurbanité totalement absente. La gare nest entouré que de
parkings. Ce constat est terrible mais tout à fait juste. Il ny quà voir les
gares du RER A à Torcy ou Lognes à Marne la Vallée. La gare "capable"
De la gare palais à la
gare" capable" La deuxième
partie du XIXe siècle est souvent présentée comme lâge dor des gares.
Cétait alors les portes sur le royaume de la
vitesse. Le déclin du train face à la voiture et à lavion, au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, a conduit à un oubli de la gare.[7] Larrivée
du TGV a changé la donne ; le train reprend le pouvoir. Mais ce nest que pour
le lancement du TGV Atlantique que leffet se ressentira aussi sur les gares. La gare
Montparnasse renaît avec la porte océane qui souvre sur la ville et une identité
de ligne se retrouve au gré des gares atlantiques au moyen de toiles tendues et autres
bastingages. Le même effort aboutira aux gares dEuralille pour le TGV Nord et de
Roissy-TGV sur linterconnexion. Ces deux gares sont des réussites par leur
intégration dans leur contexte ; la première dans un nouveau quartier mêlant des
bureaux, un centre de congrès, un parc, et un centre commercial, la deuxième pôle
multimodal au milieu dun aéroport. Les gares du
TGV Méditerranée apportent de nouvelles normes de confort des gares. Les gares
dAix, Avignon, Valence ouvertes depuis juin 2001 proposent des halls aux ambiances
soignées, un nouveau standard de confort visuel, acoustique, et surtout thermique. En
outre, elles se retrouvent légèrement à lécart des villes, mais en concertation
avec les acteurs locaux, elles accompagneront de futurs projets urbains. Les trois gares
possèdent des halls fermés et un système de rafraîchissement dair et de
chauffage qui allié aux parois protectrices (coque opaque au sud et vitrage au nord pour
Avignon, grande toiture débordante pour Valence et grande vague pour Aix) garantissant
une température minimale de 13°C en hiver et 5°C de moins quà lextérieur
lété. Les trois gares ont dû se prémunir contre le mistral. Ce sont des parois
vitrées qui endossent ce rôle pour Aix et Valence alors quà Avignon cest la
coque vitrée qui permet dabriter les voyageurs. Le hall fermé, les parements de
bois de la coque opaque à Avignon, les plafonds et planchers de bois à Aix et Valence
participent au confort acoustique. Lomniprésence du verre permet de voir à tous
moments les trains et le paysage (la montagne Ste Victoire à Aix, le Palais des Papes à
Avignon, le massif du Vercors à Valence), de comprendre immédiatement le fonctionnement
des circulations et lenchaînement des espaces. Les gares nouvelles dAix, Avignon, Valence Avec le TGV Est
en cours détude, on va franchir un nouveau cap. Ce sont les réflexions sur la gare
"capable" (daccueillir de nouveaux services, de sadapter aux
changements, de nous faire passer un moment agréable,
) qui vont conduire les
dirigeants de la SNCF à fixer six points de base pour une réflexion approfondie et une
mise en application pour ces nouvelles gares : 1. Espace-unique,
ne distinguant plus concessions/vente/accueil 2. Espace-services
« gare interactive » + repenser services classiques : location, bus,
(escale) 3. Vente du XXIe
siècle : Pas dEUV (Espace Unique de Vente ndlr), distribution électronique 4. Climatisation 5. Animation
commerciale et régionale (type porte meusienne) 6. Intermodalité
intégrale Le confort est
le maître mot de toutes ces nouveautés. Quil améliore la thermique, lacoustique, léclairage,
la signalétique, le design, les matériaux, les services proposés, il transforme les
gares en lieux de vie conviviaux. Le confort appelle le respect de certains critères de
qualité dans la conception architecturale. Par exemple, lenchaînement simple et
clair des espaces doit aller de pair avec la mise à disposition déquipements
techniques facilitant les déplacements (rampes, escaliers mécaniques, ascenseurs,
). Sur le plan climatique, outre une protection contre la pluie, le soleil, le vent
et les mouvements dair, une température adaptée au lieu, à lactivité, et
à la durée de séjour doit être maintenue. Dans le domaine olfactif , le contrôle
des sources de pollution a pour corollaire la mise en scène dodeurs qui évoquent
lidée de propreté tout en étant agréables. La clarté des espaces, passe elle
par la prépondérance sinon la permanence de la lumière naturelle, lutilisation
optimale de léclairage artificiel, la maîtrise des contrastes (notamment pour
le téléaffichage ndlr) ou du rendu des couleurs.
Enfin le confort psychologique repose sur une sensation de sécurité et de convivialité
et non de promiscuité[8]. Les gares lieu de vie Depuis
longtemps, la gare essaie de dépasser son simple rôle de halte ferroviaire. Les
commerces sont apparus en gare très tôt. Ce sont dabord un buffet, la presse, les
toilettes et bains publics, les hôtels. Lors de la rénovation de la gare Montparnasse en
1989, outre la création de la porte océane et une gestion des flux efficace, on a voulu
créer un centre commercial. Malheureusement, les commerces de cette galerie marchande ont
tous fermé les uns après les autres. La galerie était décentrée, en dehors des flux
principaux. Le type de commerce était-il bien choisi ? Les chalands
nétaient-ils pas assez nombreux ? Les commerces disséminés à travers la
gare (généralement presse et restauration rapide), le long des flux nont eu, quant
à eux, aucun problème à tirer leur épingle du jeux. Aujourdhui des enseignes
plus connues pénètrent la gare : Quick, Pier Import, Virgin, Celio,
La gare St
Lazare, première gare parisienne en terme de trafic banlieue, se prépare a accueillir un
vrai centre commercial. Elle se trouve au coeur dun quartier marchand regroupant
deux grands magasins (Galeries Lafayette, Printemps), et de nombreux autres magasins. Elle
vient daccueillir le terminus actuel du RER E, se prépare à recevoir le nouveau
terminus de la ligne de métro n°14, et compte bien profiter de tout ce trafic pour faire
tourner son propre centre commercial. Le quai transversal au bout des voies,
aujourdhui au bord de la saturation, va être fermé par une paroi vitrée le
séparant des quais. Tous les cheminements se reporteront sur une salle des pas perdus
aujourdhui sous utilisée, pour en faire ainsi un vaste lieu déchanges
horizontal et vertical au milieu des commerces. Sa superficie commerciale, actuellement de
7 000 m2, doit passer à 16 000 m2, répartis entre 50 enseignes d'ici à 2002. On y
comptera des moyennes surfaces de sports, de loisirs, de culture, de textile, de la
restauration thématique, des magasins alimentaires et des traiteurs (cf. annexe :
vue de la future gare St Lazare niveau quais). Pour cela la SNCF, qui avait déjà créé
A2C (sa filiale de développement des commerces), cofinance le projet avec un important
promoteur commercial, la Ségécé. A Paris, un
centre commercial est aussi sur le point de rentrer dans la gare de Lyon (13 000 m2 de
commerces en 2003 avec la Ségécé également). En tout, en France, ce ne sont pas moins
de 48 gares qui sont amenées à devenir de véritables lieux danimation de la vie
des cités dont 15 très grandes gares appelées à recevoir de gros changements
(Marseille, Lyon Part Dieu,
). A travers
lEurope, les gares se construisent, se développent, se rénovent souvent pour
accueillir un train à grande vitesse. En Angleterre
dès 1991, la gare de Liverpool street était réaménagée pour accueillir une galerie
marchande sous sa grande halle. Les gares mitoyennes de St Pancras et King Cross sont
englobées dans un projet urbain pour laccueil dEurostar. Jean-Didier Bodin
(directeur des services communs à la clientèle voyageurs en 1994) constate que les anglais occupent bien davantage lespace des gares
que nous. Des activités commerciales intéressantes pour le voyageur et une palette de
services plus variés contribuent à créer des gares beaucoup plus meublées,
bénéficiant dune ambiance plus chaleureuse. En Italie, 13
très grandes gares sont en train ou vont être rénovées (Rome Termini, Turin Porta
Nuova Centrale, Venise Santa Lucia et Mestre, Gênes Genova Principe et Brigniole,
)
pour faire face à laugmentation du trafic ou pour accueillir le TGV. Rome Termini
possède depuis début 2000 un centre commercial regroupant une centaine de boutiques sur
12000 m² au dessous du grand hall libéré qui accueille désormais de nouveaux guichets
et une librairie transparente sous sa vague géante. En Allemagne, après les travaux des nouvelles
gares berlinoises (Lehrter bahnhof, Papestrasse
), lICE est le prétexte à de
lourdes restructurations à Stuttgart, Munich,
La gare rénovée de Leipzig compte
déjà 30 000 m2 de commerces partagés par 130 enseignes. La Lehrter bahnhof accueillera
deux strates perpendiculaires de trains que viendront coiffer deux barres abritant près
de 40000 m² de bureaux. Au milieu de tout ça 20000 m² seront alloués aux petits
commerces, à la gastronomie, et aux prestations de service de la DBAG. En Belgique, la
gare terminus dAnvers se transforme en gare de passage et Liège reçoit une
nouvelle gare signée Calatrava. En Espagne, depuis 1992, la gare restaurée de Pontevedra
(en Galice) accueille un centre commercial avec des salles de cinéma, des salles de jeux
et même un gymnase et trois nouvelles gares vont être construites à Barcelone pour
faire passer lAVE vers la France
Mais cest
au Japon, comme on a pu le voir précédemment, dans la mégalopole de Tokaïdo, que le
terme "gare lieu de vie" à pris ses lettres de noblesse en mêlant étroitement
gare et centre commercial. Alors que Jean-Marie Duthilleul[10]
sinquiète de ce rapprochement gare/centre commercial : le risque, cest daboutir à des gares qui
ne soient plus des gares, comme au Japon, cest-à-dire des lieux qui ressemblent
plus à des centres commerciaux et dans lesquels on découvre par hasard entre deux
magasins un escalier mécanique qui vous amène à un train caché en sous-sol,
lurbaniste François Ascher se demande si, dans
un univers de mobilité généralisée, on peut encore appréhender la gare
"principalement" comme le lieu où on prend le train.[11] Les services
en gare
Après la reconquête architecturale puis urbaine, Jean-Marie Duthilleul parle de
"3e phase" pour une reconquête par les services. Pour ce faire,
La SNCF sest dotée dune structure centrale "Services en Gare" (au
sein de lAgence dEtude des Gares) qui réfléchit sur les services
daujourdhui et de demain. En Italie, les FS ont aussi leur propre structure,
mais cette fois-ci, cest une personne par gare (pour les gares les plus importantes)
qui soccupe de la réflexion et de la mise en place de ces services. Ils sont
nombreux à penser que les commerces bien agencés, mieux ciblés et de meilleure qualité
sont une réponse efficace pour ces services. Daniel
Cukierman, le patron de FRP (France Rail Publicité ndlr) se plaît à rappeler que 12000 personnes traversent quotidiennement
Lyon-Perrache sans prendre le train, et quà Montpellier, seuls 40% des gens qui
fréquentent la gare accèdent à un train. Par ailleurs,
il trouve que cette approche des gares «
lieux de commerces » nest pas très étonnante. Elle simpose par
limportance des flux de personnes qui fréquentent quotidiennement les gares .
Et cest tant mieux pour tout le monde et dabord pour les voyageurs.
Comparons ! Parly II est le plus grand centre commercial français avec 20 millions
de visiteurs par an. La gare du nord voit passer 400000 voyageurs par jour ! Il faut occuper
lattente que les gens simposent pour être sûr de ne pas rater leur train.
Cela va de quelques minutes pour les trains de banlieue à une heure en moyenne avant les
départs grande ligne dans les grandes gares parisiennes en passant par une vingtaine de
minutes au niveau national. Tout lenjeu de ces commerces et autres services est
doccuper ces gens entre le moment où ils connaissent leur quai de départ et le
moment où ils sy rendront. Jean-Marie
Duthilleul déplore quen termes de services en
gare, rien nait encore changé - un marchand de journaux et un buffet aléatoire.
Seul le design des boutiques a changé. Mais on ne trouve toujours pas de pharmacie, de
banque, de magasin de vêtements, dantenne de services publics
bref tout ce
quon est en droit de trouver dans un lieu de centralité. Il se prend alors à
rêver. Pourquoi ne pas imaginer que dans un village
de 1000 habitants dont les commerces ont disparu, la gare abrite les commerces de
proximité et les services de première nécessité ? Dans les
grandes gares en France comme à létranger, on trouve depuis un moment déjà des
salons daffaires destinés aux voyageurs de première classe. Ces businessmen, cible
privilégiée des compagnies de chemins de fer, y trouvent du calme, de la place pour
travailler, un fax, des téléphones, des prises internet et parfois même des ordinateurs en location.
En Angleterre,
deux expériences ont lieu depuis début 2000. Une crèche accueille les enfants en gare
de Victoria station, à Londres. Les voyageurs pendulaires peuvent laisser leurs enfants
la journée, les occasionnels, 4 heures le temps de faire une course. Ce lieu sert aussi
de salle dattente parents-enfants. Dautre part, la gare de Leatherhead, petite
ville du sud de Londres regroupe désormais la salle dattente et une supérette dans
un même volume. En plus de la vente de tickets, le guichetier tient aussi la caisse de la
supérette. François
Bellanger[12] évoque létude
dautres services, notamment avec lavènement des nouvelles technologies. Si le mouvement d'équipement des grandes gares est
aujourd'hui une réalité, il devrait dans les mois à venir toucher des gares de taille
plus modeste et notamment celles de la région parisienne. Certaines d'entre elles voient,
en effet, passer plus de passagers que beaucoup de grandes gares de province. S'ouvre là
pour les marques et les distributeurs un formidable chantier. Certains promoteurs
évoquent déjà des magasins multifonction tout à la fois épicerie, laverie et
vidéo-clubs dans lesquels les passagers pourraient le matin passer leurs commandes de
courses et laisser leur linge sale. Des courses et du linge qu'ils récupéreront le soir,
tout en empruntant pour la soirée une cassette vidéo. A Paris, Virgin s'est déjà
lancé dans cet exercice. L'enseigne propose ainsi aux passagers de Montparnasse de
commander un CD ou un livre le matin et de le récupérer le soir sur le chemin du retour.
Quant au groupe Casino, il ouvrait au printemps 99 son premier magasin dans la gare
d'Austerlitz à Paris. Actuellement, A2C négocie avec un géant de la distribution afin
d'installer des convenience stores dans une centaine de gares de la région parisienne.
Dans un deuxième temps, ces magasins auront vocation à abriter des services annexes et
à servir de point relais pour retirer les achats. La gare deviendrait alors un lieu de
vie et plus seulement un lieu de passage subi, et souvent mal subi. A la gare SNCF de
Saint-Denis, un Espace Service offre déjà ce type de prestations. La gare de banlieue parisienne
Jean-Marie Duthilleul affirme que si les gens
trouvaient dans les gares, ou dans les
couloirs qui mènent au métro, des services au quotidien pour mieux gérer leur temps,
limage de la gare auprès des banlieusards pourrait sen trouver améliorée.
La gare doit devenir un lieu de vie et plus seulement un lieu de passage subi. Il faut
faciliter les rencontres et surtout réfléchir aux nouveaux services. Comme on a pu
le voir pour le Japon, le rythme pendulaire du banlieusard, accompagne la vie de la gare.
Les périodes de pointes sont vers Paris le matin entre 7 et 9h et le soir vers la
banlieue de 17 à 20h, contrairement aux derniers trains à Tokyo. Entre ces deux pointes la fréquentation est
plutôt creuse. On se rend à la gare pour préparer un voyage ou acheter un journal,
moins pour prendre un train, si ce nest pour faire des courses vestimentaires dans
la capitale. Ou le week-end en soirée pour se détendre. Le forum des halles est un de
ces points de chutes des jeunes banlieusards en mal dactivité. En effet cest
le point de concours de trois lignes de RER (A, B, D) et de
cinq lignes de métro (1, 4, 7, 11, 14). La gare de
banlieue est aussi marquée par les passages. Ceux des banlieusards stressés et pressés
le matin, pour ne pas rater leur train pour se rendre sur leur lieu de travail, comme le
soir pour rentrer au plus vite chez eux. Cest aussi le passage des trains sans
arrêt, trains de grande banlieue, de grande ligne, voire même TGV le cas échéant,
stressant, bruyant, surprenant, désagréable, violent, décoiffant sil nest
pas préannoncé. La gare,
cest aussi une somme de temps. Des temps diversifiés pour le train :
larrêt, le retard, le temps de parcours,
qui compose avec, ou que subit le
client-voyageur-usager, à savoir lattente dans la plupart des cas, ou le temps
dapproche toujours trop long (obligation de ne pas rater son train). La
fréquentation des gares évolue au cour de la journée. Les actifs empruntent le rythme
pendulaire du matin et du soir. Des gens moins pressés, pénètrent dans la gare pendant
la journée. Ce sont des inactifs, des retraités, qui profitent des heures creuses pour
se rendre sur Paris. De nombreuses gares de banlieue sont les points de rassemblements des
jeunes des cités avant de prendre un train en bande ou avant de se déplacer par
dautres moyens. Il nest pas rare de lire des courriers des lecteurs dans La
Vie du rail relatant leurs mésaventures dans ces gares. Cest aussi à la gare, lieu
public couvert que zonent les SDF, devant lété ou dans un recoin pour dormir,
dedans lhiver pour se réchauffer. En soirée, ce sont souvent des gens de couleur,
dont le métier souvent plus "ingrat" finit plus tard, qui prennent le relais.
La plupart des gens qui fréquentent la gare le font pour une activité liée au voyage.
Parmi ceux-ci, la grande majorité prennent le train. Les autres viennent prendre un
billet grande ligne. Le marchand de journaux fonctionne surtout avec les voyageurs. Seul
le Photomaton est largement utilisé par les gens du quartier en dehors de tout voyage. Lusager
de la gare, en fonction du temps dont il dispose peut profiter du service minimum, souvent
la donne dans ces gares. On y trouve la vente de billets au guichet ou par automates
Transilien, le marchand de journaux Relay, des distributeurs de boissons (Selecta,
), des points photos (Portrex, Photomaton
), et sur les quais des panneaux
dinformation quotidienne (expérience Le Parisien). La recherche defficacité
est de mise : accès le plus direct possible aux quais, information minimaliste. Le
label Transilien appelé à devenir la norme des gares franciliennes améliore les
choses : contrat dentretien renforcé (propreté, maintenance des escaliers
mécaniques,
), lumière retravaillée et renforcée, signalétique et information pléthorique,
accessibilité aux personnes à mobilité réduites obligatoire, nouveau mobilier de quai,
La gare de
ville nouvelle est encore différente. Elle précède de peu ou est souvent à
lorigine de la création de nouveaux quartiers. Cétait la cas de Cergy le
Haut (1994) à louest de Paris en ou la gare de Serris-Montévrain-Val dEurope
(2000-2003) à Marne la Vallée, à côté de Disneyland Paris, dans lest parisien.
La plupart des gares de villes-nouvelles sont des pôles multimodaux où la gare
ferroviaire côtoie une gare routière, des taxis et un parking, glauque sur plusieurs
étages ou, sur une vaste étendue plane dans les années 80, mieux pensée de nos jours.
Les services présents dans ces gares sont réduits au strict minimum et nintègrent
même pas toujours un point presse. La nouvelle centralité quelles sont censées
représenter nest pas toujours au rendez-vous, si bien quelles deviennent
souvent de simples haltes urbaines, de simples lieux de passage obligés. Si certaines de
ces gares sont aussi des points de départ pour des révisions de plan durbanisme
comme à Evry-Courcouronne, dautres retrouvent seules animations de quartiers au
milieu dune galerie marchande moribonde. En ville nouvelle, la grande surface
nest jamais très loin. Et comme les déplacements en voiture y sont plus aisés que
dans Paris ou en première couronne, la tentation est grande daller dans un lieu
commun où on peut se garer et trouver de tout et pas cher. Le quartier de la gare de Noisy le grand Mont dEst, à Marne
la Vallée fonctionne car il y a un grand centre commercial (les Arcades) qui regroupe une
grande surface, une galerie marchande à loffre pléthorique, un multiplexe, des
antennes sociales et administratives. La gare même légèrement à lécart
sen retrouve un peu perdue.
[1] Sylvie CHIRAT Tokyo, ville phénix Bulletin dinformation
architecturale n°133 oct. 1989 [2] Kawazoe NOBORU
Larchitecture japonaise
daujourdhui Fondation japonaise, Tokyo, 1973 [3]
Dans les grandes gares, il faut tout de même trouver la bonne sortie. [4]
Botond BOGNAR World cities Tokyo Academy
Editions 1997 [5]
Philippe PONS DEdo à Tokyo Mémoires et
modernités Bibliothèque des Sciences humaines, Editions Gallimard, 1988. [6] Augustin
BERQUE Du geste à la cité Formes urbaines et lien
social au Japon Bibliothèque des Sciences humaines, Editions Gallimard, 1993 [7] François BELLANGER, Bruno MARZLOFF TRANSIT Les lieux et les temps de la mobilité
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stratégie et développement à la DDG (Direction de développement des Gares) à la SNCF
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Media mundi Ed. de l'Aube, La Tour d'Aigues 1996 [12] François
BELLANGER La gare : l'espace multiservice de demain
Marketing Magazine n°51 juin 2000 |